Un membre éminent du Bureau politique de l’organisation palestinienne fait part de ses réflexions sur le port que les États-Unis envisagent de construire à Gaza, sur les conflits internes et sur bien d’autres thèmes. Cet article a été initialement publié sur RT International par Robert Inlakesh, analyste politique, journaliste et réalisateur de documentaires résidant à Londres, au Royaume-Uni. Il a vécu et réalisé des reportages dans les territoires palestiniens et travaille actuellement pour Quds News. Il est également le réalisateur du film «Steal of the Century : Trump’s Palestine-Israël Catastrophe». Basem Naim, membre éminent du Bureau politique du Hamas, a déclaré dans une interview à RT que la guerre à Gaza n’était pas seulement menée par le Hamas, mais par un commandement conjoint des groupes palestiniens présents dans l’enclave côtière assiégée. Il a également abordé les relations entre le Hamas et la Russie, les alliances régionales et la politique palestinienne interne. Basem Naim a partagé ses préoccupations sur le projet américain de construction d’un port à Gaza qui, selon lui, pourrait être utilisé par les Israéliens pour commettre de nouveaux crimes de guerre contre le peuple palestinien. Depuis le début de la guerre à Gaza, les médias occidentaux n’ont que peu parlé de la coordination entre les factions armées palestiniennes représentées par une dizaine de groupes opérant sur le territoire assiégé. De plus, la plupart des interviews avec des responsables du Hamas cherchent surtout à les piéger et se concentrent sur les événements du 7 octobre sans rentrer dans des analyses plus profondes. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la plupart des pays occidentaux considèrent le Hamas comme une organisation terroriste, au même titre que tous les autres grands partis et mouvements politiques palestiniens, avec pour seule exception la branche principale du Fatah. Toutefois, dans le reste du monde, la plupart de ces mouvements, y compris le Hamas, jouissent de relations et d’un dialogue ouverts. Le port américain envisagé à Gaza Les États-Unis envisagent de construire un port maritime à Gaza. Une idée qui aurait été proposée par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou afin de faciliter, selon lui, l’acheminement de l’aide humanitaire. Basem Naim estime quant à lui que ce résultat ne peut pas être atteint sans un cessez-le-feu durable, qui devrait être la priorité. «En ce qui concerne cette mesure, oui, d’un côté nous pourrions la considérer comme un pas dans la bonne direction. Mais en même temps, pourquoi veulent-ils suivre ce chemin très long et très compliqué ? Le chemin le plus court et le plus facile est d’obliger Israël à ouvrir tous les points de passage terrestres, de satisfaire aux besoins des habitants de Gaza et d’autoriser tous les organismes internationaux, y compris l’UNRWA, à travailler librement sur le terrain», a-t-il déclaré. «Deuxièmement, et c’est encore plus important, il faut mettre fin à l’agression. Comment l’aide peut-elle être distribuée dans la bande de Gaza pendant que les Israéliens continuent de tirer ? Nous lisons tous les jours que des personnes sont tuées alors qu’elles attendent que des camions d’aide entrent dans Gaza, en particulier dans le nord. Tous les organismes internationaux ont clairement fait remarquer que personne ne peut parler d’une aide humanitaire satisfaisante sans un cessez-le-feu. Par conséquent, la première étape, et celle qui est la plus importante, est de faire taire les canons. Quant à l’impact sur la situation sur le terrain, il est vrai que ce port pourrait être utilisé à d’autres fins. Peut-être que ce n’est pas clair aujourd’hui, mais il y a quelque chose là-dedans», a ajouté Basem Naim. Interrogé sur les possibles autres fins, il a évoqué une perspective effrayante : «Je pense qu’il pourrait être utilisé pour la présence américaine ici. Par exemple, cela pourrait faire partie d’un plan à long terme permettant aux Américains et aux Israéliens de contrôler le littoral et les terres de l’ouest à l’est.» «Il pourrait s’agir théoriquement d’un moyen de permettre à davantage de personnes de quitter la bande de Gaza, compte tenu de la situation inhumaine qui règne sur le terrain. Comment ce port peut-il fonctionner sans un partenaire sur le terrain ? Et qui est ce partenaire ? Et comment ce partenaire travaillera-t-il ? Comment est-ce que cela fonctionnera ? Qui sera le bénéficiaire de l’aide et des dons ?», se demande Basem Naim. «Beaucoup de questions devraient être soulevées et nous avons besoin d’un grand nombre de réponses. Encore une fois, cela pourrait être considéré comme une solution urgente pour aider la population et comme une mesure positive. Mais nous devons garder à l’esprit que l’autre chemin pour transférer l’aide est moins long et moins compliqué», poursuit-il. Le Hamas et l’unification politique de la Palestine Un millier de personnes ont été tuées et plus de 200 prises en otage lors de l’attaque palestinienne contre Israël, qui a déclenché la guerre le 7 octobre. Celle-ci est souvent associée uniquement à la branche armée du Hamas. Pourtant, plusieurs autres mouvements armés palestiniens, y compris des nationalistes laïques, des marxistes et des groupes islamiques, ont participé à l’attaque initiale. Ces groupes venant d’horizons politiques divers ont aussi coopéré avec le Hamas pour faire face à l’invasion israélienne de Gaza depuis fin octobre. Dans la bande de Gaza, les groupes travaillent ensemble sous un commandement unifié appelé «La salle commune» [des factions de la résistance palestinienne]. J’ai interrogé Basem Naim à ce sujet ainsi que sur ses implications politiques. «La salle commune a été établie il y a quelques années, peu avant la bataille Épée de Jérusalem en mai 2021. C’était un pas en avant de deux manières principales : d’un côté, elle a permis de s’organiser et de coopérer sur le terrain pendant les attaques israéliennes, tout en coordonnant les opérations militaires avec les deux différentes factions», explique-t-il. «De l’autre, cela a aidé à créer un nouveau noyau pour l’union politique palestinienne. Autrement dit, au lieu d’aller du haut vers le bas, il a été décidé… pourquoi ne pas aller du bas vers le haut et commencer sur le terrain en travaillant ensemble ?», ajoute-t-il. «Dans la bataille actuelle [la guerre en cours à Gaza], d’après des observations et autres informations, je pense que c’était très utile de coordonner les activités militaires dans différentes zones et à différents moments. Nous avons donc parfois vu des opérations conjointes entre les brigades al-Qassam et les brigades al-Qods [une branche armée du Jihad islamique palestinien] avec les brigades des moudjahidines et bien d’autres groupes», souligne le membre éminent du Bureau politique du Hamas. Le Hamas conteste certaines positions de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui est actuellement l’organisation représentative de l’État de Palestine auprès des Nations unies. Cependant, le désir du groupe d’être réintégré dans l’OLP a fait l’objet de nombreuses spéculations. «Je pense que le Hamas a déjà exprimé son point de vue : nous cherchons à devenir membre de l’OLP, mais celle-ci doit d’abord être réformée parce que le Hamas a une vision politique qui était, il y a des décennies, la même vision que celle de l’OLP. Mais malheureusement, la vision politique de l’OLP a été sapée à maintes reprises : par la signature de l’accord d’Oslo, par le changement de charte de l’OLP en 1996. Alors, oui, nous souhaitons devenir membres de l’OLP, mais des changements doivent être faits», assure Basem Naim. «Nous avons besoin d’élections libres, transparentes et complètes à tous les niveaux, c’est-à-dire des élections présidentielles, des élections nationales de l’OLP, des élections au CLP (Conseil législatif palestinien). Ainsi de nouvelles autorités seraient choisies. Elles devraient s’asseoir ensemble et élaborer un projet politique national commun pour l’avenir du peuple palestinien partout, dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et dans la diaspora», détaille le dirigeant. «En attendant, nous avons proposé de mettre en place une direction temporaire, capable de coordonner les différentes factions, notamment les deux principales factions, le Hamas et le Fatah», note Basem Naim. Interrogé sur la mise en œuvre potentielle de projets conjoints avec l’Autorité palestinienne basée à Ramallah, par exemple le rôle administratif de cette dernière dans la bande de Gaza après la guerre, Basem Naim souligne toutefois qu’il faut tenir compte des réalités d’après le 7 octobre. Répondant à la question de savoir s’il s’agit d’un accord similaire à celui qui a failli être mené à bien en 2017, selon lequel l’Autorité palestinienne était sur le point de prendre en charge l’administration civile dans la bande de Gaza, le dirigeant du Hamas précise encore : «Nous avons signé beaucoup de documents et d’accords au cours des 16 ou 17 dernières années qui ont suivi la division [entre les administrations de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en 2007]. Tous ces documents sont suffisamment satisfaisants pour parvenir à l’unité si les parties sont sérieuses, pour mettre en œuvre des accords fondés sur nos intérêts nationaux, ce qui implique d’exclure toute intervention extérieure.» Le «gouvernement fasciste d’Israël n’acceptera aucun État palestinien» et Israël cherche maintenant à élaborer une «solution finale, ce qui signifie qu’il cherche à éliminer et à éradiquer complètement l’existence palestinienne, que ce soit au niveau politique, humain, géographique et religieux», assène Basem Naim. Selon lui, «[Israël] cherche ouvertement à contrôler entièrement la mosquée al-Aqsa et les bâtiments du temple [juif] qui s’y trouve, ainsi qu’à judaïser complètement Jérusalem, annexer la Cisjordanie, déplacer ou expulser de force les Palestiniens, en particulier de Cisjordanie, séparer la bande de Gaza de la Cisjordanie, normaliser les relations avec les pays arabes sans résoudre le conflit palestinien». Basem Naim précise que les menaces émanant des ministres israéliens, du Premier ministre lui-même et d’autres hauts responsables militaires, politiques et sécuritaires doivent être prises en compte lors de l’élaboration de toute stratégie politique future au sein du mouvement national palestinien. Compte tenu des négociations en cours entre Israël et le Hamas, par le biais de médiateurs, sur un éventuel cessez-le-feu qui aboutirait à un échange de prisonniers, j’ai demandé quels seraient les avantages potentiels de la libération de dirigeants d’autres partis politiques palestiniens au cours de cet échange : parmi les noms fréquemment cités figurent Marwan Barghouti, membre du Fatah, et Ahmad Saadat, secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine. «Nous souhaitons la libération de tous les prisonniers palestiniens, quels que soient leur âge, leur sexe ou leur affiliation politique. Mais, effectivement, en ce qui concerne les noms spécifiques, nous croyons que la libération de certains dirigeants, non seulement du Hamas mais aussi d’autres partis, contribuera grandement à la dynamique politique palestinienne interne», fait remarquer Basem Naim. «L’un des problèmes que nous rencontrons aujourd’hui est que notre dynamique politique interne est pauvre en grands dirigeants capables de distinguer les principaux objectifs nationaux, de se battre pour ces objectifs et de faire des compromis pour les atteindre. C’est pourquoi, à mon avis, il est très important, indispensable et stratégique de faire libérer des prisons israéliennes certains des grands hommes politiques nationaux appartenant à des factions différentes», précise-t-il. Le Hamas sur les relations Palestine-Russie La position de la Russie sur la guerre en cours entre Gaza et Israël a été remarquable, Moscou ayant accueilli des délégations du Hamas. Basem Naim estime que la Russie peut jouer un rôle majeur à la fois en protégeant des Palestiniens sur la scène mondiale et en parvenant à un accord entre les différentes factions intra-palestiniennes. «La Russie est une superpuissance, c’est un facteur crucial et décisif dans le conflit israélo-palestinien. C’est l’un des États membres permanents du Conseil de sécurité, [les Russes] sont impliqués dans différentes zones de cette région, et par conséquent, dans de nombreux cas, ils peuvent apporter leur assistance politique et diplomatique», note Basem Naim. «[Elle joue] un rôle important dans la protection des Palestiniens en général et de la résistance en particulier, lorsqu’il s’agit de leur siège au Conseil de sécurité et de leur droit de veto face aux plans américains visant à saper les Palestiniens et leur résistance. La Russie est également importante s’agissant des relations palestino-palestiniennes. Elle entretient de bonnes relations avec toutes les factions palestiniennes, ce qui est rarement le cas en général. Nous pouvons également noter qu’ils ont les mêmes relations avec toutes les factions, ce qui est très utile pour contribuer à l’unité palestinienne. De plus, en ce qui concerne sa présence dans la région, la Russie est en Syrie», énumère le dirigeant du Hamas. «Je pense donc que même pendant les hostilités, ils pourraient les influencer. La Russie peut également aider les Palestiniens au niveau militaire, si cela est possible. Je ne sais pas combien ils peuvent faire, mais je veux dire que c’est théoriquement possible. Encore une fois, je pense que la Russie est un grand pays central et qu’elle est très importante pour le conflit israélo-palestinien», conclut Basem Naim. Les États-Unis et l’alliance régionale de résistance Diverses factions régionales, notamment l’Ansarallah yéménite (les Houthis), le Hezbollah libanais, la Résistance islamique en Irak et en Iran, d’une manière ou d’une autre, ont apporté leur soutien au Hamas dans le conflit actuel avec Israël. Basem Naim pense qu’avec chacune des guerres de ce type qui se sont produites à de multiples reprises ces dernières années, ce soutien grandit et se transforme progressivement en une alliance unie de résistance. «Je pense que pendant ce combat, cela a été plus clair que pendant Saif al-Quds [le titre que le Hamas donne à la guerre Gaza-Israël de mai 2021] et Saif al-Quds l’avait rendu plus clair qu’auparavant. Par conséquent, oui, nous assistons à la naissance ou à la création d’une image à part entière de l’alliance de la résistance, jour après jour. Mais la stratégie a été discutée il y a des années», ajoute-t-il. Sur la question des États-Unis et de leur rôle dans le conflit à Gaza, Basem Naim affirme que «de nombreux officiers américains sont autour de la table du cabinet de guerre pour planifier et mettre en œuvre des solutions. Ils assurent la sécurité du renseignement militaire pour obtenir des informations de la bande de Gaza afin d’aider les Israéliens à atteindre leurs objectifs». «La plupart des armes utilisées pour tuer des femmes et des enfants dans la bande de Gaza sont des armes américaines», déclare-t-il, ajoutant que les Américains parlent d’aide humanitaire alors que les Palestiniens sont confrontés à la famine, mais «ne parviennent pas à faire pression sur Israël. Ils pourraient y mettre fin s’ils le voulaient, mais ne s’arrêtent pas et continuent de parler d’un cessez-le-feu temporaire uniquement en raison des prochaines élections, voilà pourquoi leur rhétorique change»