L’erreur stratégique du soutien inconditionnel des pays baltes à Israël

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En soutenant ce génocide en cours, l’Occident signe son arrêt de mort médiatique, politique … Netanyahu a emporté avec lui l’Occident dans un gouffre politique… Les peuples se réveillent, se manifestent … rien ne pourra les arrêter … PAIX & JUSTICE

Alors que l’Union européenne peine à se mettre d’accord sur une réponse cohérente à la guerre d’Israël contre Gaza, les ministres des affaires étrangères d’Estonie et de Lettonie ont récemment réservé un accueil chaleureux à leur homologue israélien, Gideon Sa’ar. Cette accolade diplomatique, intervenant alors qu’Israël fait l’objet d’accusations devant la CIJ et la CPI pour crimes contre l’humanité et soupçons de génocide, révèle une hypocrisie lourde de conséquences. Elle constitue également un pari stratégique hasardeux.

 

Au début du mois de novembre, le ministre estonien des affaires étrangères, Margus Tsahkna, a accueilli M. Sa’ar pour l’ouverture de l’ambassade d’Israël à Tallinn. Au cours de la cérémonie, Tsahkna et son homologue letton Baiba Braze ont réaffirmé le « droit à la légitime défense » d’Israël et condamné « le rôle déstabilisateur de l’Iran ». C’est la deuxième visite en quelques mois du ministre israélien des Affaires étrangères dans la région. Après la « guerre des 12 jours » contre l’Iran, Sa’ar avait choisi pour première étape le trio balte (Estonie, Lettonie et Lituanie) où son récit du conflit avait trouvé un accueil bienveillant.

 

Cependant, cette contradiction dans la posture des États baltes est stupéfiante. La Lettonie, la Lituanie et l’Estonie ont construit toute leur politique étrangère et leur identité post-soviétique sur une position intransigeante à l’égard de la Russie. Le traumatisme historique causé par l’occupation soviétique n’a été que renforcé par l’invasion russe et la guerre en cours en Ukraine.

 

Les États baltes ont logiquement pris la tête d’une riposte vigoureuse à l’invasion russe de 2022, en poussant pour des sanctions internationales, en refusant toute diplomatie avec Moscou et en allant jusqu’à prôner une responsabilité collective des citoyens russes face aux crimes de leurs dirigeants. Ainsi, la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, Kaja Kallas, ancienne première ministre d’Estonie, a fait pression pour que tous les Russes soient soumis à des restrictions générales en matière de visas. Alors que les responsables des États baltes invoquent des raisons de sécurité pour justifier leur démarche, les dissidents russes ont critiqué cette mesure qu’ils jugent contre-productive et qui fait le jeu du Kremlin.

 

Un accueil diplomatique de premier rang est réservé au chef de la diplomatie israélienne, alors même que la campagne militaire de son pays a causé la mort de plus de 69 000 Palestiniens, selon les autorités sanitaires de Gaza, déplacé massivement la population et provoqué la famine dans l’enclave assiégée. La CIJ a ordonné à Israël de prévenir tout acte de génocide et de permettre l’acheminement de l’aide humanitaire. La CPI a inculpé le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour crimes de guerre, au même titre que le président russe Vladimir Poutine.

 

Israël a aussi violé le cessez‑le‑feu annoncé par le président américain Trump, en poursuivant ses opérations militaires : des centaines de Palestiniens ont été tués et 124 bombardements supplémentaires ont été menés après son entrée en vigueur supposée, le 11 novembre.

 

Les verdicts des juridictions internationales, tout comme les violations israéliennes du cessez‑le‑feu, devraient inciter à la prudence toute nation se réclamant d’un « ordre fondé sur des règles ». Au lieu de cela, les pays baltes offrent la voie de la normalisation et affichent un soutien sans faille.

 

Cette manière sélective d’appliquer les normes internationales ne passe pas inaperçue. Elle est clairement visible à Madrid, Dublin, Ljubljana, Bruxelles et même Paris, où les dirigeants ont publiquement critiqué les agissements d’Israël. Les gouvernements espagnol et irlandais, en particulier, ont exprimé leur volonté de voir l’UE demander des comptes à Israël, considérant qu’il s’agissait d’un test fondamental sur les valeurs de l’Union.

 

Quand les diplomates baltes exhortent leurs partenaires à une solidarité sans faille avec l’Ukraine, leur discours paraît de plus en plus creux. Comment réclamer un soutien absolu, au nom des valeurs, envers une nation agressée, tout en apportant une légitimité à un gouvernement accusé de violations graves dans un autre pays ?

 

Cette hypocrisie ne relève pas seulement d’un manquement moral : elle traduit aussi une grave erreur de calcul stratégique. Certes, certains États de l’UE — tels que la Hongrie, la République tchèque ou l’Autriche — affichent un soutien encore plus marqué à Israël, mais aucun n’est aussi exposé que les pays baltes. Petits États situés aux portes de la Russie, leur sécurité repose presque entièrement sur une cohésion entre l’Union européenne et l’OTAN. Alors que les doutes grandissent quant à l’engagement durable de Washington pour la défense du continent, l’appui de la solidarité européenne apparaît plus crucial que jamais.

 

Se couper de partenaires clés de l’UE en rejetant leur position sur Gaza relève d’une myopie stratégique. Une telle attitude alimente la frustration croissante, en Europe occidentale, face à ce qui est perçu comme une morale de circonstance portée par des figures comme Mme Kallas et d’autres dirigeants baltes. Ces derniers devraient veiller à ne pas donner l’impression d’un attachement sélectif à l’« ordre fondé sur des règles », limité à leurs seuls intérêts géopolitiques immédiats. Or, c’est précisément l’impression qu’ils laissent.

 

Cette erreur stratégique est aggravée par une lecture biaisée et dangereuse des calculs israéliens. Les pays baltes courtisent un pays dont les intérêts sont infiniment plus liés à ses relations avec la Russie qu’aux leurs. En effet, la principale préoccupation d’Israël n’est pas d’aider l’Ukraine, mais de dissuader l’Iran. Cela implique d’empêcher Téhéran de se réarmer et, notamment, de reconstruire ses défenses aériennes après la guerre de juin contre Israël.

 

La Russie dispose de capacités qu’elle peut offrir à l’Iran pour renforcer ses défenses. Sergey Ryabkov, vice-ministre des affaires étrangères, a d’ailleurs déclaré que Moscou ne pouvait pas cautionner le retour des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU contre l’Iran, initié par les puissances européennes, et qu’elle souhaitait développer sa coopération technologique et militaire avec Téhéran.

 

Bien que l’étendue réelle d’une telle coopération reste à voir, cette simple possibilité est une source de profonde inquiétude pour Israël. C’est pourquoi Jérusalem a toujours cherché à établir des relations pragmatiques et cordiales avec Moscou, et ce avec un succès remarquable, afin de minimiser le soutien de cette dernière à Téhéran. Cette dynamique est longuement détaillée dans les mémoires de l’ancien chef du Mossad, Yossi Cohen, qui y décrit avec éloge M. Poutine comme un maître de la stratégie soucieux de comprendre les préoccupations d’Israël.

 

Pour Israël, réduire l’appui de la Russie à l’Iran restera bien plus crucial que les bénéfices marginaux tirés de ses relations avec les pays baltes. L’incapacité à reconnaître cette hiérarchie évidente des priorités s’avère être un échec cuisant pour la diplomatie balte. Tallinn et Riga engagent leur capital diplomatique auprès d’un acteur dont les impératifs stratégiques l’alignent sur leur principal adversaire, au risque d’isoler les pays baltes de leurs partenaires de l’UE et de l’OTAN et d’affaiblir leur propre crédibilité morale.

 

Pour défendre l’Ukraine de manière crédible, il faut défendre le droit international de manière cohérente. Il ne peut en être autrement. Si les pays baltes poursuivent sur la voie d’une moralité et d’une légalité sélectives, ils risquent de fracturer l’unité même qui constitue leur première et plus importante ligne de défense. En se ralliant aujourd’hui à Israël, ils courent le risque d’être accueillis beaucoup plus froidement dans les conseils de l’Europe demain, et cela précisément au moment où ils peuvent le moins se le permettre.

 

La crédibilité a tendance à s’éroder avec le temps, surtout lorsqu’elle est inutilement sapée. Le droit international n’est pas un menu ; vous ne pouvez pas défendre le plat principal en Ukraine tout en traitant Gaza comme un plat d’accompagnement facultatif. Surtout lorsque les avantages stratégiques d’une telle attitude sont très incertains.

 

Article originellement publié par Responsible Statecraft sous le titre “Baltics’ big bear hug of Israel is a strategic blunder”, traduit par Alexandra Knez.

DYSTOPIE DÉLIRANTE #DominiqueZiegler “Depuis plus d’un mois, le monde semble avoir basculé dans une dystopie délirante. La puissance militaire israélienne extermine, au vu et su de tout·es, la population civile de Gaza, et l’opinion publique mondiale se voit intimée de ne pas croire ce qu’elle voit (“ceci n’est pas un massacre”) ni de réagir en conséquence sous peine d’anathème. Nous sommes sommé·es de rester spectatrices et spectateurs impuissant·es d’une tragédie morbide. La trêve temporaire annoncée et la libération d’otages peuvent réjouir, il demeure un sentiment de dégoût profond devant les évènements récents. Face au meurtre de plus de 13.000 innocent·es, aux images d’enfants agonisants qui circulent sur les réseaux sociaux, aux appels désespérés des ONG, de l’ONU, face aux manifestations massives partout dans le monde, ni l’Union européenne ni les Etats-Unis n’ont envisagé la moindre action contraignante (ni même symbolique) envers Israël pour mettre fin à ce massacre, qui dépasse en nombre celui de Srebrenica. Au contraire, après les effroyables attaques meurtrières perpétrées par le Hamas le 7 octobre, les gouvernements occidentaux ont délivré un véritable permis de tuer au gouvernement raciste d’Israël – au programme pourtant connu de tous – en lui concédant un “droit de se défendre”. Dans le même mouvement, les colons et l’armée assassinent plus intensément que jamais les civil·es en Cisjordanie. La “plus grande démocratie du monde” n’a pas hésité à déployer deux porte-avions en soutien à Israël dès le début des opérations. La présidente de la Commission européenne a fait le voyage à Tel-Aviv pour apporter son soutien au gouvernement d’extrême droite, suivie par le président français. Le chancelier allemand au plus fort de la boucherie a réaffirmé son soutien indéfectible au gouvernement israélien. La Suisse, dépositaire des Conventions de Genève, a refusé d’appeler à un cessez-le feu immédiat et continue sa coopération militaire avec Israël, dont le résultat trouve son application concrète dans l’hécatombe de ces dernières semaines. La sidération est immense. Aucun scénariste de politique-fiction n’aurait osé cauchemarder un tel monde. La dystopie ne serait pas complète sans mensonge médiatique. Dans les médias dominants occidentaux – en particulier français –, on a d’ores et déjà explosé les scénarios les plus fous de Black Mirror et relégué 1984 au rang d’aimable pochade. Des présentateurs et pseudo-journalistes déchaînés légitiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre les bombardements massifs; des intervieweurs servent la soupe aux porte-parole ou laudateurs de l’armée israélienne et invectivent les invité·es qui auraient le malheur de défendre un point de vue favorable aux Palestinien·nes. En Allemagne et en Suisse allemande, le débat est totalement verrouillé, et le chantage à l’antisémitisme fonctionne comme un rouleau compresseur envers toute voix discordante. On serait bien avisé de citer dans ce contexte les travaux de l’historien israélien Ilan Pappé, qui démontrent que “le sionisme est une forme de colonialisme”, que “sionisme et judaïsme ne sont pas des notions équivalentes” et que, à la racine de ce conflit, “l’exode des Palestiniens en 1948 fut causé par les exactions israéliennes”. Derrière l’écran de fumée, il faut se rendre à l’évidence : pour nos gouvernants et médias dominants, une vie arabe ne vaut pas grand-chose; les enfants morts de Palestine ne suscitent pas la moindre empathie, considérés au mieux comme des dommages collatéraux (quand ce ne sont pas “des animaux”, comme l’assure un ministre israélien). Mais malgré la propagande matraquée ad nauseam, le mensonge se lézarde à mesure que s’accumulent les cadavres. L’Occident politique, empêtré dans son double discours et le non-respect flagrant de ses valeurs “démocratiques” affichées, se révèle dans toute sa crudité comme l’entité coloniale qu’il n’a jamais cessé d’être …” t.co/QEIM6aZPsG

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